mercredi 27 janvier 2010

Le Black Metal et moi : un essai autobiographique



"Ce qu'il y a d'admirable dans le fantastique, c'est qu'il n'y a plus de fantastique : il n'y a que le réel."
[ André Breton ] - Extrait du Premier manifeste du surréalisme

"I believe the common denominator of the Universe is not harmony, but chaos, hostility and murder."
[ Werner Herzog ] - Extrait du film Grizzly Man

2001-2002 : Je suis un adolescent boutonneux à l'hygiène douteuse. Ma vie sociale quotidienne se résume à un seul pote (toujours mon grand ami) et mes parents. Je suis en secondaire cinq et ça ne va pas bien du tout. Sans réellement le savoir, je vis en fait ma toute première crise existentielle, le tout s'exprimant par une dépression sourde, agrémentée de crises d'angoisse et de désirs fréquents d'auto-anéantissement (yé !)... Renfermé sur moi-même, incapable d'exprimer ce mal-être à mes proches, je vis ces émotions troubles à travers la littérature et la musique... J'écoute alors surtout du Prog (Genesis, King Crimson, Gentle Giant, Van Der Graaf Generator, Harmonium), du Jazz (Miles & Coltrane) et du Frank Zappa (vous comprenez en partie pourquoi je n'avais pas d'amis)...

Sur un forum internet maintenant perdu dans la brume du temps, un usager (Vempyre était son pseudo - un chic type) me parle d'un style de musique on ne peut plus bucolique et ensoleillé... LE style de Metal le plus extrême de tous les temps... Une musique lourde, hypnotique, malsaine, belle et laide à la fois... Des guitares possédées, une batterie tribale, une basse inaudible et des vocaux qui sentent bon la souffrance et le dégoût... Des albums à la limite de l'écoutable, enregistrés dans le garage de chose... Des personnages burlesques qui se griment en version cadavérique des membres de Kiss et qui hurlent dans la nuit nordique... Des gens pas biens du tout qui forment des organisations satanico-terroristes, qui brûlent des églises pour s'amuser un brin, qui s'auto-mutilent et s'entretuent pour se distraire, qui vénèrent la faucheuse et le Grand Cornu (et même le plus célèbre architecte du 20ème siècle)... Face à cette mine d'informations insolites, je suis plutôt ambivalent quand à mon désir d'explorer tympanastiquement ce courant musical qui, à première vue, m'apparaît aussi ridicule que terrifiant (ok, j'étais très chicken à l'époque)... Mais la curiosité l'emporte et je télécharge (ouh ! le méchant mot !) quelques albums de Black Metal...

Révé-FUCKING-lation !!!!


Le Black Metal entre alors subitement dans ma vie et bouscule tout sur son passage pour devenir alors la bande son officielle de cette période noire de mon existence... Contrairement à bien des gens, je n'ai pas passé par la case "Metallica - Blaster of Muppets" (le "Dark Side of the Moon" du Metal... menant logiquement au Trash, puis au Death et finalement au Black). Je commence avec du vrai de vrai, du True Norwegian Black Metal : Burzum, Emperor et Enslaved. J'apprécie d'abord les deux derniers pour leur côté épique (n'oublions pas que j'étais une "Prog-whore" à l'époque). Emperor a un côté grandiloquent ("symphonies au casio") qui me plaît bien, tout comme les longues compositions psychédélico-vikings de Enslaved (King Crimson sur un drakkar !). Mais c'est surtout Burzum, le one-man band d'un certain Varg Vikernes, qui me jette le plus sur le cul. À la première écoute, je n'aime pas vraiment. Trop "tout-croche", trop morbide, trop flou, trop criard, trop malsain... Mais bizarrement, je dois être ensorcelé par les FORCES DU MAL™  parce que j'y reviens inlassablement. Il y a quelque chose d'étrangement euphorique dans cette quasi non-musique... à travers cette rumeur lointaine parvenue de la forêt agonisante... de cette voix moribonde qui gémit horriblement, crachant son fiel sur le pitoyable monde réel... de ce "buzz" incessant des cordes électriques qui nous monte à la tête comme une bouffée d'opium. Cette musique n'est qu'atmosphère, qu'émotion pure. Au même titre que la musique psychédélique des années 60, elle active le subconscient et incite au voyage ; à cet éternel périple intérieur qui, encore aujourd'hui, demeure une des choses que je recherche à travers la musique (se perdre dans une mer de sons pour mieux se retrouver après, la tête pleine d'images fantasques et divines).



C'est le début de mon addiction... Je suis junkie et le Black Metal est ma drogue de choix. J'achète d'innombrable albums (tout mon maigre argent de poche y passe) : Darkthrone, Mayhem, Ildjarn, Graveland, Immortal, Ulver, Abruptum, Summoning, Celtic Frost, Bathory, Marduk, Nokturnal Mortum, Arcturus et j'en passe. Je lis avec passion tout ce qui concerne l'histoire du Black scandinave et la mythologie qu'il y a autour : les meurtres, le fameux Inner Circle, les personnages plus grands que nature, aussi pathétiques que fascinants (comme Dead, chanteur de Mayhem, qui, selon les rumeurs, avait l'habitude d'enterrer ses vêtements dans des cimetières pour les imprégner de l'odeur de la mort ou bien de "sniffer" un corbeau mort qu'il gardait dans un sac ziploc juste pour se "mettre dedans" avant les concerts-cérémonies du groupe... Ai-je aussi mentionné qu'il s'est suicidé d'un coup de fusil en pleine tronche et que son bon ami Euronymous a pris une photo de l'après-scène pour en faire une pochette d'album ? Those crazy Norwegians !).



Je laisse pousser mes cheveux. Je fais des choix vestimentaires douteux. Je me crois nihiliste, alors que je ne sais alors pas vraiment ce que ça veut dire. Je prend de longues marches à travers la nature trifluvienne, privilégiant par le fait même cette activité onirique à mes cours de Cégep... Je vis, à travers ma passion pour le Black Metal, ma crise d'adolescence en retard... Je deviens beaucoup plus sceptique et critique (peut-être trop) par rapport aux humains et à la société qui les abritent. Je m'affirme enfin face à mes semblables, sans concession aucune. Mon modus vivandi est alors : "Les gens sont stupides et insignifiants et ce, jusqu'à ce qu'ils me prouvent le contraire". En ce sens, mon périple à travers la socialisation s'opère avec une mauvaise foi évidente mais au moins, il s'accomplit (je tiens à préciser que j'ai beaucoup changé depuis et ce, pour le mieux... ou du moins, je l'espère).

300 albums de Black plus tard... J'ai jeté mon crayon à paupière noir (grand dieux !). Mes passions musicales sont maintenant on ne peut plus vastes (de Roy Orbison à Grouper, en passant par la case Morricone) mais le Black Metal reste un de mes styles musicaux préférés (au grand déplaisir de ma copine, ceci dit). Et ce n'est pas une vulgaire passion de jeunesse à laquelle je m'accroche. C'est un amour authentique et pur ! Il y a tout dans cette musique. Des émotions brutes, non filtrées... Du beau, du laid, du tragique, du mélancolique, de l'horreur, du surréalisme, de l'absurde, de l'insensé, du somptueux, de l'abstrait... Et contrairement aux apparences, le Black, tout comme le Punk, est loin d'être un genre musical centré sur lui-même. Il est évolutif et malléable. On peut l'apprêter à toutes les sauces (voir le nombre immense de sous-genres inhérents au Black... c'est pire que le Jazz ou le Classique). S'agit de bien reproduire l'étincelle magique : ce "buzz" si caractéristique du Black (cet impossible nuage d'insectes "lovecraftiens").

Cette grande diversité peut s'entendre dans la musique du groupe américain Wolves In The Throne Room (qui combinent allègrement Black atmosphérique à la Burzum et Post-Rock), des Suédois d'Abruptum (Chaos vaguement musical : Lautréamont mis en musique, en cris et en notes de piano damnées) et de Lifelover (Ian Curtis de Joy Division en corpse paint), des Anglais de Anaal Nathrakh (Mariage intéressant entre Grindcore et Black) ou encore de l'Australien Sin-Nanna qui, sous le couvert de Striborg, fait jaillir milles fantômes à travers une musique aussi dadaïste que psychédélique, toute en réverbérations kaléidoscopiques.

Bref, j'aime le Black. J'aime son ambiance. J'aime ses acteurs. J'aime son folklore.

Sur ce, je vous laisse sur ces quelques morceaux-clés ayant fait de moi un fan invétéré :