mercredi 27 janvier 2010

I Love The Dead



Ceci est une histoire écrite dans mon cours de création littéraire à la session d'automne 2008. J'ai été pris par un désir soudain de juxtaposer les séries américaines Six Feet Under et Dexter (toute deux avec le même comédien principal).

L’histoire que je vais vous raconter commence au petit matin, alors que la phosphorescence flétrie d’un jour d’octobre occultait les ténèbres d’une nuit sans lune. Dans une grande maison de briques rouges, située à la croisée d’un cimetière brumeux et d’une forêt luxuriante, Samuel Trintignant s’éveilla. Après avoir assené quelques vigoureux coups de poings à son réveille-matin qui émettait un son apocalyptique digne d’une sirène d’avant-bombardement, Samuel sortit péniblement d’un sommeil chargé de rêves énigmatiques. S’ensuit une rigoureuse toilette matinale et un petit-déjeuner frugal qui se consomma sur la petite table de travail au sous-sol, à quelques pas d’une chambre froide qui abritait deux cadavres tous frais.

Le croque-mort ne chômait définitivement pas ces derniers temps. Ce matin, il devait travailler sur madame Béliveau, qui avait été poignardée à mort quelques jours auparavant. Du beau travail : trente-sept coups de couteaux, dont un dans la nuque qui lui avait été fatal. Le corps de Justine Béliveau, intégralement couvert de plaies plus ou moins profondes, ressemblait à un gigantesque morceau de gruyère qu’on aurait oublié trop longtemps hors du réfrigérateur. Bref, un dur travail de restauration en perspective… Et cet après-midi, ce serait au tour de Ronald Carpentier de se faire refaire une beauté. Le corps du vieillard, horriblement mutilé, avait été retrouvé l’avant-veille dans un conteneur à déchets d’un quartier malfamé. Son visage avait été abominablement brûlé à la torche, ses yeux crevés par des éclats de miroir et son pied droit allègement scié. Le pied en question avait été découvert dans une boîte postale à proximité de la scène du meurtre.

Habituellement, il aurait fallu plusieurs jours à un thanatopracteur pour redonner une apparence vaguement humaine à un seul de ces putrides défunts. Samuel Trintignant n’était pas un thanatopracteur commun. C’était un artiste, aussi expéditif que méticuleux, qui travaillait sur les dépouilles humaines comme un grand peintre jette son âme sur la toile. Peu importe le degré de décomposition ou la violence de l’accident qui avait mené à la mort, il créait de véritables chefs d’œuvres cadavériques. Plus le défi était grand, plus le résultat était époustouflant. C’est pourquoi en réalité, ce ne fut pas difficile de s’occuper de ses clients. C’est aussi pourquoi le centre funéraire « Trintignant INC » était si réputé dans la région.

Vers le milieu de l’après-midi, Samuel achevait les dernières retouches sur feu madame Béliveau. Il s’arrêta un moment pour savourer une cigarette à l’extérieur et ainsi s’imprégner de splendeur automnale. Octobre avait cet aspect miraculeux… La nature fondant tranquillement en beauté, la couleur des feuilles s’altérant majestueusement jour après jour, la lumière agonisant toujours un peu plus tôt chaque soir… et après venait Novembre, le mois des morts ; le cadavre gris terne d’Octobre qu’on avait perçu au petit matin, le lendemain d’Halloween. Samuel adorait particulièrement ce mois. Sa fête tombait le 1er et il chérissait l’atmosphère morne et funeste qui s’en dégageait. Novembre était son allié ; le reflet de son âme solitaire.

Samuel avait côtoyé la mort toute sa vie. C’était son champ d’expertise. Alors qu’il n’avait que six ans, sa mère périt en tentant de donner naissance à son frère mort-né. Peu de temps après, dans le sous-sol de la maison familiale, Samuel découvrit le corps de son père se balançant grotesquement au bout d’une corde. L’image du visage violacé et grimaçant de son géniteur s’imprima dans son esprit et ne le quitta plus jamais. Au lieu d’engendrer chez lui un traumatisme qui aurait été des plus compréhensibles, elle représentait pour lui un objet de fascination singulier.

Samuel partit vivre chez sa tante Adèle. Lorsqu’il eut treize ans, Adèle fut emportée par un cancer foudroyant. Placé en famille d’accueil, le garçon timide et rêveur ne réussit pas vraiment à lier de véritables liens affectifs avec ceux qui l’entouraient. Adolescent, il se découvrit une passion pour les dessins morbides, le Death Metal, les films d’horreur et la littérature fantastique. Il passait tout son temps libre à lire ou dessiner dans les cimetières avoisinants, y dormant parfois. À l’âge adulte, après avoir jonglé avec l’idée de devenir cinéaste ou médecin, Samuel décida de consacrer sa vie à sa passion. Une fois ses études terminées (avec brio), il ouvrit sa propre maison funéraire. À travers son travail, l’homme s’accomplissait pleinement dans son domaine d’intérêt. Il ne lui manquait plus qu’un hobby tout aussi fascinant. Dans cette optique, il fut donc logique qu’il se tourne vers le meurtre.

Les premiers homicides de Samuel étaient venus d’une nécessité purement financière. Le monde moderne était impitoyable envers les croquemorts. Grâce à l’avancement (et l’accessibilité) de la science médicale, à la pasteurisation, aux lois protégeant les faibles et les pauvres, aux vaccins, etc... Mourir était devenu une occupation plutôt exceptionnelle chez les gens ordinaires. Samuel, en bon capitaliste, avait décidé de créer la demande. La nuit, il s’introduisait sournoisement chez les gens et les étranglait avec tact et précision. Plus souvent qu’autrement, la famille du défunt rappliquait dans son bureau le lendemain et le contrat était signé en moins de deux ; le temps d’assister à quelques crises de larmes. Les coffres s’emplissaient de nouveau.

Par contre, notre thanatopracteur préféré pris rapidement goût à cette besogne immorale. Très habile dès le départ, il y devint aussi très créatif, variant ses méthodes et ses techniques selon la victime. Tuer était devenu pour lui l’art suprême. Il voyait en ses escapes meurtrières nocturnes une interminable partie de « Clue ». Une nuit, c’était le démembrement à la tronçonneuse dans le salon. L’autre, c’était l’éviscération au tournevis à tête plate dans la salle à manger.

Samuel adorait estropier ses proies, non pas par sauvagerie gratuite mais par défi personnel. Sachant qu’il allait travailler sur ces mêmes corps, il adorait s’infliger des contraintes artistiques. Sa dernière lubie, c’était la décapitation. Bien recoudre une tête sur un corps est une tâche extrêmement délicate mais quand cela est fait d’une main experte, le résultat en vaut la chandelle. Ces dernières « ré capitations » valaient toujours à Samuel des commentaires élogieux lors des services. Les madames et les monsieurs n’arrêtaient pas de sortir les classiques « Ah ! Vous nous l’avez bien arrangé ! » ou encore « Elle à vraiment l’air en paix ! »

C’est donc dans l’optique de faire rouler quelques têtes que Samuel sortit de chez lui cette nuit là, vers les deux heures du matin. Il avait fait du bon travail toute la journée ; c’était maintenant l’heure de se divertir un peu. Enfilant un costume sobre, entièrement noir, et agrippant sa trousse de travail qui contenait une hache bien affutée, notre « nécro-spécialiste » était fin prêt à seconder la faucheuse une nouvelle fois. Il prit sa voiture et roula calmement pendant une bonne heure dans les différentes banlieues de la cité, se laissant inspirer par les diverses demeures assombries… dans le but de choisir la bonne. Finalement, il découvrit la maison parfaite. Belle, grande, un peu en retrait des autres sur la fin de la rue… Elle avait ce cachet de « maison de film d’horreur ». Et l’horreur allait bientôt devenir réalité pour ses habitants.

Samuel se stationna à un bon kilomètre de la maison. Il empoigna son attirail et sortit de la voiture. Après avoir fermé la porte sans un bruit, il marcha d’un pas discret mais résolu vers le domicile. Dans la tête du psychopathe, le petit quartier nocturne n’était qu’un vaste cimetière et la maison au loin un tombeau immense qu’il s’apprêtait à profaner. Arrivé devant la porte, il sortit son passe-partout et en moins de deux se trouva à l’intérieur, dans l’obscurité totale. Il laissa ses yeux s’habituer à la pénombre et fit une visite rapide du premier étage. Cuisine, salon, salle de jeu, salle de bain. Les chambres devaient se trouver au deuxième. Le meurtrier emprunta alors le bel escalier de bois central qui menait à l’étage supérieur.

Ce qui se passa ensuite fut abominable... Quant tout fut fini, que Samuel eut rentré chez lui les habits et le visage maculés de sang, il s’écroula et se mit à pleurer pour la première fois de sa vie...

Après une fausse manœuvre dans l’escalier, la maisonnée s’était éveillée. La lumière s’était faîte et Samuel avait été confronté à une famille complète. Un homme, une femme et deux petites filles mignonnes qui venaient de sortir brutalement d’un songe espiègle peuplé de fées et de lutins. Tous des innocents. Les voir face à face dans le spectre électrique, vivants jusqu’à la moelle, apeurés mais unis dans la tourmente, purs devant Dieu… c’était trop. Il les avait trouvés beaux et tragiques. Son désir meurtrier s’était écroulé comme les empires d’un monde oublié. Et pourtant, il devait impérativement mettre fin à leur existence. Ils avaient vu son visage. Malgré les supplications nauséeuses de la mère, ils tombèrent un à un. Elle en premier, son front éclaté par l’impardonnable instrument de mort. D’un formidable élan de colère brute, le père s’était jeté sur lui en hurlant comme un animal indompté mais avait reçu la hache en plein dans la jambe droite… À deux pas du corps de sa femme, il gémissait, pleurait, implorait pour que Samuel épargne ses filles. C’était trop tard. Après avoir assisté au massacre de sa progéniture, le père émit un cri affreux, sorte de râle perçant qui secoua les fondations mêmes de la demeure. Samuel mit fin à ses tourment en laissant s’abattre l’arme sur son cou qui fondit comme du beurre. La tête de l’homme alla s’écraser grotesquement contre le mur le plus proche.

Samuel était paralysé, figé au beau milieu d’un tableau sanguinolent qui aurait trouvé sa place sur le mur du salon d’Edgar Allan Poe. Il resta là dix minutes, sans savoir quoi faire, jusqu’à ce que l’innommable vienne cogner aux portes de son esprit dérangé. La tête du père, qui dégoulinait de belle façon sur le plancher de bois franc, se retourna vers lui... Son regard fixa le sien et ses lèvres prononcèrent...

Quelques jours plus tard, on découvrit le croque-mort au bout d’une corde. Ses cheveux, qui une semaine plus tôt étaient d’un noir impénétrable, n’étaient plus que neige maladive. Il venait de terminer sa plus belle restauration à vie : une tête et un corps ré-assemblés à perfection... Curieusement, sur les lèvres du cadavre reconstitué, on pouvait apercevoir un sourire sinistre.




FIN